Voyage vers l'enfer AF447 / Météorite??????

Publié le par philippe

Vol Rio-Paris
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AF447 Voyage vers l'enfer
Lundi 8 juin, océan Atlantique, à environ 1500 km au large de Recife. L’armée brésilienne repêche une pièce de l’empennage de l’Airbus d’Air France. L’avant-veille, six jours après le crash, les premiers corps avaient été enfin retrouvés.
Reuters

Alors que les premiers corps ont été repêchés six jours après la catastrophe, le flou entourant le crash interpelle. Problèmes techniques, attentat, foudre, météorite? Les hypothèses se multiplient. Analyses et hommage aux victimes.

Par Christian Rappaz

LES CAUSES Problèmes techniques, attentat terroriste, météorite? Les hypothèses restent multiples

Si la découverte des premiers corps et de débris atténue quelque peu la douleur et l’angoisse des familles des 228 victimes, le flou entourant la tragique disparition du Rio-Paris interpelle. Huit jours après le drame, ses circonstances demeurent mystérieuses et les hypothèses se multiplient. Parmi elles, des problèmes techniques, la piste de l’attentat terroriste et celle de la collision avec une météorite.

Deux cent vingt-huit personnes de 32 nationalités -dont trois Suisses - ont péri dans la nuit du 31 mai au 1er juin dans le crash d'un avion d'Air France reliant Rio à Paris. Pourdes raisons qui demeurent mystérieuses, l'appareil, un Airbus A330-200 mis en service le 18 avril 2005 et entièrement révisé le 16 avril dernier, s'est abîmé dans l'Atlantique, à 1150 kilomètres des côtes brésiliennes, un peu plus de quatre heures quinze après son décollage.

Un simple Rio de Janeiro-Paris. Presque un vol de routine, à entendre les pilotes rompus à cette ligne, certes réputée pour ses turbulences (c'est dans cette zone qu'a pris naissance l'ouragan Katrina qui a dévasté La Nouvelle-Orléans en 2005), mais parfaitement maîtrisée. Une route empruntée plus de 100 000 fois au cours du demi-siècle écoulé. Sans accident majeur jusqu'à la tragédie du long courrier français parti de Rio à minuit, heure de Paris, avant de disparaître sans laisser d'autres traces que 24 messages automatiques de pannes successives. Il aura fallu six jours pour que l'armée brésilienne repère les premiers corps, des débris de l'appareil et divers objets personnels.

«Un éclat fort et intense de lumière blanche»

Que s'est-il passé à bord du vol AF447? L'avion a-t-il explosé en vol, comme le suggère le témoignage d'un pilote espagnol qui a observé au loin -à 700 km à vrai dire - un «éclat fort et intense de lumière blanche», ou s'est-il désintégré en touchant la mer? A-t-il été victime de problèmes techniques, d'une erreur humaine, d'un attentat ou, pourquoi pas, d'un choc avec une météorite? A cette heure, une seule chose est certaine: d'après les messages automatiques envoyés par l'avion, le drame s'est joué en quatre minutes. On en est là. Perplexes devant un mystère qui ne cesse de s'épaissir et impuissants face à des questions terribles pour les familles des victimes. Des questions qui pourraient rester longtemps sans réponses si les boîtes noires, gisant peut-être à 3000 mètres de fond, ne sont pas retrouvées dans les trente jours, temps pendant lequel elles émettent un signal acoustique facilitant leur localisation. L'une contient l'enregistrement des conversations et les sons entendus dans le cockpit, l'autre celui de tous les paramètres de l'avion (altitude, vitesse, trajectoire) enregistrés en code numérique seconde par seconde. C'est dire l'importance de ces mémoires.

Course contre la montre

Mais la course contre la montre n'est pas gagnée. Pour preuve, il a fallu dix-sept jours pour repêcher les boîtes noires du Boeing 737 de Flash Airlines abîmé dans la mer Rouge en janvier 2004, gisant par 1000 mètres de profondeur. En l'absence de ces données, il faudra donc se contenter de l'étude des débris et des restes humains retrouvés. En examinant les poumons des victimes, on pourra par exemple établir si celles-ci ont respiré de la fumée causée par un incendie alors que l'avion volait encore. De même, l'analyse des déformations infligées à chaque pièce, ainsi que la recherche de traces d'explosifs ou de marques de brûlure provoquées par un éventuel foudroiement, s'avéreront de la plus haute importance. Après avoir évoqué puis écarté l'hypothèse de conditions météo exceptionnellement mauvaises (foudre, mur de grêle), c'est désormais la thèse de l'avarie technique qui est privilégiée par le Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation (BEA). Celle d'une panne générale des cinq sources d'énergie électrique et de la batterie de secours ayant entraîné un bug informatique des 140 ordinateurs de bord, ou du système avionique. Celuilà même qui avait failli causer la perte d'un Airbus A330 de la compagnie australienne Qantas en octobre 2008, l'avion ayant brusquement piqué du nez de façon incontrôlée. «La découverte de fragments qui se seraient manifestement brisés depuis l'intérieur de la cabine plaiderait néanmoins en faveur d'une implosion, compatible avec la thèse d'un attentat», observe Ronan Hubert, historien en accidentologie aérienne (lire page suivante).

La menace d'une bombe électromagnétique

Attentat. Le mot fait frémir et ressurgir les angoisses liées aux tristement célèbres attaques du 11 septembre 2001. Le ministre français de la Défense en personne, Hervé Morin, n'exclut pourtant pas la piste terroriste. «Dans la plupart des cas, quand il y a eu des actes terroristes sur des avions, il n'y a pas eu de revendication», répète-t-il. Déclaration partagée par plusieurs pilotes professionnels sur le site www.pprune.org, où ils s'expriment librement sous pseudo. «On peut imaginer qu'une bombe a provoqué une dépressurisation de l'appareil ou carrément fait exploser l'avion, ce qui expliquerait pourquoi les pilotes n'ont pas eu le temps d'envoyer un signal d'alerte», soulignent plusieurs d'entre eux. Pourquoi Air France? «N'oublions pas que notre pays est très engagé au Moyen-Orient, dans le Golfe, en Afghanistan. Il ne s'agit que d'une hypothèse parmi d'autres, mais ne la balayons pas d'un revers de main», souligne Jean Guisnel, spécialiste du renseignement au Télégramme de Brest. Des spécialistes qui, d'après Le Canard enchaîné du 27 mai, parlant de la nouvelle base française d'Abou Dhabi, située à 220 kilomètres des côtes iraniennes, récemment inaugurée par Nicolas Sarkozy, «décèlent chez le président de la République un comportement à risque». Un observateur va jusqu'à interpréter le crash comme un avertissement au président qui vient de choisir un Airbus A330-200 comme nouvel avion pour ses déplacements. «Dans un contexte international dont nous ignorons souvent les tenants et les aboutissants, on peut tout imaginer», renchérit-il, en rappelant qu'Air France a reçu des menaces d'attentat contre l'un de ses appareils au départ de l'Argentine quatre jours seulement avant la disparition de l'AF447.

Et si c'était une collision avec une météorite?

Astrophysicien à l'Observatoire de Genève de 1969 à 2006 et ancien rédacteur en chef de la revue suisse des astronomes amateurs Orion, Noël Cramer signale que, dans son édition d'avril dernier, le très sérieux magazine britannique New Scientist consacre un long article à la vulnérabilité des fuselages des avions de dernière génération, en matériaux composites et alliage de carbone, aux champs (bombes) électromagnétiques, destructeurs des systèmes informatiques. Une arme redoutable qu'aurait utilisée l'armée américaine dans le Golfe, qui se résume à l'envoi de très fortes décharges électriques dans l'atmosphère, libérant de puissantes impulsions électromagnétiques. «Un matériel que des terroristes peuvent posséder en achetant des composants librement», relève l'auteur de l'article, en priant les avionneurs de prendre cette menace très au sérieux. «Dans le cas de 1AF447, il aurait fallu que la bombe soit envoyée d'un bateau, ce qui me paraît hautement improbable», estime toutefois Noël Cramer. Qui n'accorde guère plus de crédibilité à la thèse de la météorite, pourtant évoquée par un pilote de Swiss, impressionné par le nombre d'étoiles filantes sillonnant la ceinture équatoriale lors de chacun de ses passages dans le secteur. «Il est clair que le choc entre une météorite de plusieurs kilos tombant à 20 km/seconde et un avion volant à 900 km/h déchirerait la carlingue et provoquerait une dépressurisation explosive de l'appareil. Si l'on ne peut pas exclure cette hypothèse, sa probabilité est toutefois limitée à un risque sur un milliard.» Un ratio que les scientifiques du magazine Discover ont sensiblement réduit au cours du week-end, en prenant en compte les vingt dernières années: «Il y a un risque sur vingt pour qu'une météorite ait percuté un avion au cours des deux dernières décennies.»

 

L'ANALYSE «Un avion foudroyé? Trente cas sur 17 300 acc idents»

Texte: Yves Lassueur

Directeur du Bureau d'archives des accidents aéronautiques, à Genève, Ronan Hubert, 38 ans, est l'un des rares professionnels à avoir une connaissance encyclopédique des catastrophes qui ont marqué l'histoire de l'aviation mondiale. Son analyse de la tragédie de l'A330, à la lumière des milliers de cas d'accidents analysés dans ses dossiers*.

Dès les premières heures qui ont suivi la catastrophe, la perte de contrôle de l'appareil a été imputée à la foudre. Est-ce une cause d'accident fréquente? Non. Il y en a officiellement une trentaine sur les 17 300 cas d'accidents que nous avons recensés ces 80 dernières années. C'est absolument dérisoire. Et la plupart se sont produits sur des appareils de la génération précédente, donc jusque dans les années 70 ou 80.

A quand remonte le dernier cas?

J'ai souvenir d'un avion thaïlandais qui a été foudroyé il y a une vingtaine d'années. La décharge avait touché un réservoir de carburant et mis à malson étanchéité. Des vapeurs s'en étaient échappées et l'avion avait explosé.

N'est-ce pas le scénario qui a pu se produire sur le vol d'Air France?

J'en doute. En vingt ans, la technologie a évolué et les appareils récents, comme l'Airbus A330, réagissent bien mieux à ce type de phénomène. Maintenant, il faut savoir que la météo peut se détériorer d'une façon extraordinairement rapide. Ily a cing ans, un avion cargo a décollé de Nouvelle-Zélande dans des conditions de givrage très sévères. Les pilotes ont enclenché tous les systèmes de dégivrage possibles -moteurs, pare-brises, etc. -, mais le temps s'est révélé si extrême qu'ils n'ont servi à rien. Le poids de l'appareil a pu être multiplié par deux. L'avion s'est disloqué et les deux pilotes sont morts. C'est aussi ce qui pourrait s'être passé dans le cas du vol d'Air France.

Les boîtes noires reposent probablement dans l'océan à plus de 3000 mètres de fond. A-t-on des chances de les récupérer?

A ma connaissance, on ne l'a encore jamais fait à de telles profondeurs. Mais toutes les boîtes noires de tous les appareils tombés en mer ces vingt dernières années ont pu être repêchées, à l'exception de celles du Boeing 747 de South African Airways qui s'est abîmé au large de l'île Maurice en 1987. Quand on l'a enfin localisé, il reposait par 4000 mètres de fond et n'a jamais été renfloué. En revanche, dans le cas d'un autre appareil tombé en mer il y a deux ans au large de l'Indonésie, les boîtes noires ont été retrouvées huit mois plus tard et récupérées à 2000 mètres de profondeur. Cela veut dire que, même quand ces boîtes noires n'émettent plus depuis des mois, on parvient à les repêcher à force de ténacité.

Et,à chaque fois, ces boîtes noires ont révélé ce qui s'était passé?

Sauf dans le cas du SR111 de Swissair, en 1998. Pour faire face à un problème d'électricité dans l'avion, les pilotes avaient coupé toute l'alimentation générale, y compris celle des boîtes noires. Quand on les a retrouvées, elles étaient donc muettes. C'estaprès cette catastrophe que les appareils ont dû s'équiper de boîtes noires alimentées par des génératrices autonomes. Dans le cas de l'appareil d'Air France, je pronostique qu'on retrouvera les boîtes noires et qu'elles «parleront». Mais il y faudra de la patience.

Votre optimisme tranche avec l'attitude du ministre français des Transports, Jean-Louis Borloo. A l'entendre, chaque jour qui passe réduit les chances de récupérer ces boîtes...

Il a peut-être connaissance d'éléments qui m'échappent. Il est très important de les retrouver et tout sera mis en œuvre pour y arriver. Si toutefois cela devait demeurer un échec, les enquêteurs parviendront probablement à découvrir la vérité par d'autres sources. Ce sont des professionnels, ne l'oublions pas. Le Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA) français jouit d'une excellente réputation et bénéficie de technologies et d'ingénieurs à la pointe.

Pour revenir à l'hypothèse de la foudre, un Boeing de Kenya Airways s'est écrasé en mai 2007 après son décollage de Douala, au Cameroun. Et, là aussi, des experts ont laissé entendre que l'appareil avait été touché par un éclair. Deux ans plus tard, qu'en dit l'enquête?

Toujours rien. Le rapport n'est pas encore sorti. Vu qu'il s'agissait d'un Boeing quasi neuf, il ne fait pas de doute que les Américains cherchent, mais il est probablement plus délicat de le faire à Douala que dans l'Etat de New York.. Deux ans d'enquête et toujours pas de conclusions, ça peut paraître long, c'est même abominable pour les familles des victimes, mais aujourd'hui c'est un délai dans la norme. Je suis habitué à des enquêtes qui durent deux, trois, quatre ans. Tout est plus long qu'autrefois, car tout est plus complexe. C'est le prix de la sécurité.

Y. L.

* Ronan Hubert est aussi l'auteur d'«Accidents d'avions», paru aux Editions Favre. Voir son site: www.baaa-acro.com/index_f.html

LES VICTIMES SUISSES «Avant le départ, nous avons bavardé. Ses dernières paroles ont été: «Je t'aime»

Texte: Marc David

L'épouse du fondateur de Sunrise, un médecin du CHUV adoré par ses patients et un diplomate rompu aux pires conflits dans le monde: notre pays a payé un lourd tribut au crash du vol AF447. Portraits des disparus.

Ni fleurs, ni couronnes mortuaires, ni cercueils, bien sûr, ce vendredi 5 juin dans l'église genevoise Saint-Joseph. Juste un cierge pascal allumé par les deux fils de la disparue et un mari très digne qui accueille amis et proches avec des paroles emplies d'espérance et de solidarité pour toutes les familles touchées. «Les miracles existent...» glisse Hans Ivanovitch en pensant à sa femme, Verônica, passagère du vol AF447, tandis que l'abbé parle encore d'elle au présent. Le lendemain, il y aura la découverte des premiers corps et l'entrée dans le deuil, enfin permise.

Suissesse d'origine brésilienne, Verônica Ivanovitch-Alves était allée rendre visite à ses parents. Trois jours plus tôt, elle avait fêté son 57e anniversaire avec eux. Mariée depuis trente ans avec Hans, ils vivaient dans une belle maison de Vandceuvres (GE). «Nous nous sommes connus à l'Uni de Genève. Nous y étudiions tous les deux l'économie», se souvient son mari, bouleversé. Puis il était devenu un industriel reconnu, jusqu'à fonder, en 1998, l'entreprise de télécommunication Sunrise. Juste avant de décoller, sa femme l'a appelé une dernière fois. «Nous avons bavardé. Ses dernières paroles ont été: «Je t'aime.» Il a choisi cette église parce qu'elle venait y prier la Vierge.

Pour parler du médecin genevois Christophe Paus, 32 ans, chef de clinique adjoint au CHUV, sa famille éplorée n'a voulu employer qu'une seule phrase: «Il vivait de sa passion, qui était la neurochirurgie, et se nourrissait de sa relation avec ses amis et ses patients.» Comme en écho, l'un d'eux a spontanément appelé notre rédaction. Jacques Freymond, de Bettens (VD), avait été grièvement blessé en 2005: une botte de paille lui était tombée sur la tête, d'une hauteur d'une dizaine de mètres. Il n'a rien oublié: «Ce médecin m'a sauvé la vie. Il était exceptionnel. Dès que je suis tombé sur lui, j'ai su que j'avais affaire à une perle et j'ai eu confiance. Après mes deux grosses opérations, il est resté disponible, malgré son emploi du temps surchargé. Je passais parfois le jeudi soir, il avait toujours un moment pour moi.»

Le praticien a fini par lui rendre visite dans son village. «Il voulait voir et comprendre. Aujourd'hui, j'ignore comment le remercier. Oui, je sais: il aimait la vie et je vais continuer à profiter d'elle en son honneur.» Car le disparu aimait l'opéra, l'amitié, la discrétion. Ce patient ému et reconnaissant a aussi une pensée «pour tous ceux qui attendaient d'être opérés par Christophe. Ils n'auront pas la chance que j'ai eue de passer entre ses mains.»

La troisième victime suisse s'est battue sa vie entière pour la paix. Ronald Dreyer, 59 ans, a arpenté la planète. Délégué du CICR de 1974 à 1977 puis observateur pour l'ONU lors d'élections délicates, notamment à Haïti, en Namibie, en Roumanie, en Bosnie ou en Angola. Finalement coordinateur depuis 2006 pour la Déclaration de Genève sur la violence armée et le développement. A ce titre, il collaborait avec le Département des affaires étrangères et tentait d'acquérir le soutien d'une centaine de pays à sa cause. Sa famille n'a pas souhaité s'exprimer. Inutile, après tout. Ses actes parlent pour lui. M. D.

Pas de cercueil, pas de fleurs, juste un cierge pour espérer maigre tout

Genève, 5 juin 2009, cérémonie en mémoire de Verônica lvanovitch, disparue à bord de l'AF447

«Ce médecin m'a sauvé la vie. Il était exceptionnel»

Un patient

UNE RÉGION EN DEUIL «Le petit s'est jeté dans mes bras: «Tu sais, papa et maman sont morts.» C'est dur»

De nos envoyés spéciaux: Yan Pauchard (texte) et Blaise Kormann (photos)

Ce voyage pour deux à Rio devait être la récompense de leurs performances. La CGED, leader français de la distribution de matériel électrique, avait ainsi primé ses neuf meilleurs commerciaux de la zone Centre-Atlantique-Pyrénées. Aujourd'hui, de Limoges à Bordeaux, de Tours à Toulouse, on pleure dix-neuf disparus, un mari, une fille, un ami, une collègue, un père.

Elle s'appelle Coline. Elle a tout juste 8 mois. Elle est désormais orpheline. Ses parents, Jérôme et Aline Neraud, étaient sur le vol AF447. Un jeune couple, 32 et 28 ans, la trentaine insouciante, elle au caractère bien trempé, lui toujours un peu gamin. Ensemble depuis l'âge de 13 ans, on ne les a jamais connus l'un sans l'autre. Il y a trois ans, ils avaient concrétisé un premier rêve: une maison, à Luchat, sur la route qui mène de Saintes à Royan, à l'Atlantique. Le second était réalisé il y a moins d'une année: Coline, confiée à une grand-maman le temps d'un aller et retour à Rio.

Bureaux fermés

Jérôme était commercial chez CGE Distribution, leader français de la distribution de matériel électrique, 150 agences et 1400 employés à travers l'Hexagone. Comme à huit de ses collègues, l'entreprise avait offert un voyage de quatre jours dans la mégapole brésilienne, la récompense d'un concours interne, un challenge. Un cadeau qui se révélera empoisonné. En tout, un groupe de 19 personnes, avec les accompagnants. Une tragédie dans la tragédie que représente la mort des 228 passagers et membres d'équipage de l'Airbus, dont 73 Français. La direction de la société a rapidement mis sur place des cellules psychologiques pour les employés. «Nous avons fermé les bureaux pendant quatre heures, nous avons parlé, parlé. C'était très fort», raconte Vincent Teulet, responsable de l'agence de Montauban, qui a perdu l'une de ses collègues, Laetitia Alazard, 23 ans. C'est lui qui a désigné la jeune femme pour ce prix. Il ne se passe pas une minute sans qu'il y pense. «Elle était l'employée que tout chef rêve d'avoir.»

Le séjour de quatre jours devait être inoubliable. Au programme: le passage au pied du Christ Rédempteur au sommet du Corcovado, la visite de la forêt urbaine de Tijuca ou la découverte des écoles de samba. L'hôtel donnait sur Copacabana. «C'était son premier voyage en avion, son premier voyage tout court», confie Benjamin, 27 ans, le compagnon de Laetitia Alazard, partie avec sa meilleure amie, Aurélia. Pour des raisons professionnelles, le mécanicien agricole de Castelnau-Montratier, dansle Tarn-et-Garonne, n'avait pas pu se libérer. Il aurait pu être dans l'avion. Il ne veut pas y penser. Le jeune homme préfère parler de Laetitia: «Enfant, elle n'avait pas eu une vie facile, élevée par ses grands-parents, sa mère n'ayant pas voulu s'en occuper. En crochant, elle avait réussi à se faire une situation.» Laetitia l'a appelé une dernière fois de Rio, juste avant de prendre l'avion. Il devait aller la chercher à la gare de Cahors.

«Sous le choc»

Comme Benjamin, Marie-Noëlle, 47 ans, aurait pu être dans l'avion d'Air France, suivant son mari, Pascal Linguet, 48 ans, responsable des crédits clients. Il encadrait le voyage. Mais elle n'a pas voulu laisser ses deux fils de 14 et 12 ans, aujourd'hui désemparés. «Heureusement que je n'y suis pas allée. Ils seraient seuls.» Pour eux, elle se montre forte. Assise dans la cuisine de leur jolie maison de pierre de Rilhac-Rancon, dans la banlieue de Limoges, leur «petit paradis», celui des quatre chats de la famille, elle évoque leur rencontre, il y a près de vingt ans, grâce à l'entreprise. «Je travaillais aussi à la CGED, mais à Clermont-Ferrand. Au début, Pascal faisait la route tous les week-ends pour venir me voir. Cette première année avait été la plus dure, la plus magique aussi.» Elle raconte cet homme qui l'a séduite grâce à son humour, fin gastronome, amateur de bons vins, fidèle en amitié, passionné de pingpong, bénévole au club local de basket où jouaient ses deux garçons. «Ici, tout le monde est sous le choc. Ses copains, jusqu'à Lille, se sont mobilisés pour nous venir en aide.»

La brutale disparition de ces 19 personnes a provoqué une véritable onde de choc dans tout le quart sud-ouest de la France, d'où ils étaient originaires. Au sud de Bordeaux, le long de la Gironde, c'est tout un village, Saint-Martin-de-Sescas, qui est anéanti. «C'est l'incompréhension et la tristesse», confirme Laurent Duville, voisin et ami d'enfance de Stéphane et Sandrine Artiguenave, 37 ans les deux. Ils laissent derrière eux une fille de 9 ans et un garçon de 4 ans. «Le jour de l'accident, le petit s'est jeté dans mes bras, souffle Laurent Duville, les yeux embués de larmes. Il m'a dit: «Tu sais, papa et maman sont morts.» C'était dur...» Laurent Duville n'y a longtemps pas cru, pas accepté la mort de son copain, le Sigot, comme on surnommait ce bon vivant dans la région. «Stéph, c'était un chouinard. Il s'en sortait toujours. Alors, on se disait qu'il avait dû louper l'avion, ou pris un autre. Mais sa chance l'a quitté. Et dire que, quelques jours avant de partir, Sandrine avait eu un pressentiment. Elle ne voulait plus partir. Elle ne voulait pas laisser ses enfants.» Puis cet adjoint au maire de conclure, après un silence: «En tout cas, ils seront entourés, je vous le promets.»

«Tout pour être heureux»

A Brive, c'est tout le quartier des Chapélies qui pleure Otman Tighadouini, 25 ans. Un gars bien, toujours prêt pour la rigolade, à rendre service, un fou de foot, qui venait de «marier sa sœur», comme on dit ici. Parmi les 19 du voyage de la CGED, il y avait aussi Sébastien David, 28 ans, et son amie Elise Chabanne, 26 ans. «Ils venaient de construire à Bourg-en-Gironde, ils avaient tout pour être heureux, lâche Michel Chabanne, le père de la jeune femme, écrasé par le chagrin. Il ne veut pas y croire, ne peut pas. Il montre un article de la presse régionale consacré à l'émotion de toute l'école de Nontron, en Dordogne, où sa fille enseignait les mathématiques et les sciences physiques. On y raconte le désarroi de ses élèves.

A Royan, la clinique Pasteur, où Aline Neraud travaillait en tant qu'infirmière en salle de réveil, organisera prochainement une journée de recueillement. A cette occasion, un livre de pensées sera ouvert. Il sera remis à Coline, pour que plus tard elle sache à quel point sa maman était aimée. L'un des trop rares souvenirs que la petite fille aura de cette mère disparue brutalement quelque part au milieu de l'océan.

Y. P.

32 NATIONALITÉS Le destin des 228 victimes s'est brisé au large du Brésil le 1er juin 2009

Textes: Marc David et Yves Lassueur


Quand une météorite sème la panique en Indonésie

LE MONDE | 30.10.09 | 15h49  

Sur l'île de Sulawesi, en Indonésie, au bord du littoral est de la province de Sulawesi Selatan (sud), les habitants se sont lancés dans une chasse aux trésors célestes. Dans un paysage de jungles et de rizières, ils recherchent les éventuels fragments de la météorite qui, le 8 octobre, a explosé dans le ciel du district de Bone. Les fouilles s'annoncent difficiles : la détonation a pulvérisé l'aérolithe.

Généralement observé au-dessus d'océans ou de déserts, le phénomène s'est produit cette fois-ci à proximité de zones habitées. Dans plusieurs villages, des témoins affirment avoir vu ce matin-là, vers 11 heures, une "boule de feu" traverser l'horizon, puis se désagréger dans un panache de fumée. L'explosion, entendue à des dizaines de kilomètres, a provoqué de nombreuses scènes de panique. Pensant à un séisme ou à un crash d'avion, beaucoup ont préféré s'enfuir de leurs maisons. Des écoles ont été évacuées par précaution. Au sol, les dégâts, occasionnés par la secousse, sont légers : à Latteko, des habitations ont été endommagées. A Panyula, le bilan est plus lourd : une fillette de 9 ans, souffrant de troubles cardiaques, a succombé à un infarctus, vraisemblablement dû au choc de la déflagration.

Longtemps restée inexpliquée, l'origine du phénomène vient d'être identifiée par une équipe de scientifiques canadiens. Selon Elizabeth Silber, astrophysicienne à l'université de Western Ontario, l'explosion a été causée par l'entrée dans l'atmosphère d'une météorite de 5 à 10 mètres de diamètre. "Sa vitesse devait approcher les 20 km/seconde. En se désintégrant, elle a dégagé une énergie proche de 50 kilotonnes, soit un peu plus de trois fois l'énergie de la bombe atomique d'Hiroshima", explique Mme Silber.

L'étude de la météorite de Sulawesi a été menée grâce à l'analyse des mesures de onze stations, ayant enregistré les ondes infrasonores émises dans l'air, au moment de l'arrivée de l'objet céleste dans l'atmosphère. Appartenant à la famille des bolides, l'objet céleste s'est brisé à une altitude faible, comprise entre 10 et 20 km. "Avec ce diamètre, il n'y a pas de risque d'impact avec la surface de la Terre, même si les capacités de destruction d'une météorite dépendent de l'angle d'entrée dans l'atmosphère, de sa vitesse, ainsi que de sa composition", poursuit la chercheuse, ajoutant qu'un événement de cette ampleur se produit tous les "deux à douze ans". Selon Don Yeomans de la NASA, "des corps célestes, dont le diamètre dépasserait les 25 mètres, seraient susceptibles de provoquer d'importants dégâts au sol ".

En juin 1908, une partie de la région de Toungouska, en Sibérie orientale, avait été rayée de la carte, à la suite de l'explosion probable d'un "corps cosmique" non identifié et d'environ 50 m de diamètre. Le souffle et la chaleur dégagée au sol avaient brûlé près de 2 000 km2 de taïga.

Arnaud Guiguitant



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